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Une suite aux laves émaillées de St-Vincent de Paul - le 31/03/2012 @ 15:25 par Dominique_Delord
Suite à la repose des laves émaillées à l'église Saint-Vincent de Paul, à l'article de Bruno Horaist, voir ici, et à la conférence de Daniel Imbert sur le peintre Jules Jollivet voir ici, Dominique Delord nous présente deux autres artistes ayant pratiqué la technique de la lave émaillée : Abel de Pujol et Ferdinand Mortelèque.

 

Alexandre-Denis ABEL DE PUJOL

(1785-1861)

En 2011 ont été reposés, sur la façade de l'Église Saint Vincent-de-Paul, des panneaux de lave émaillée réalisés par le peintre Pierre-Jules Jollivet (1794-1871) entre 1846 et 1860(1). Cette technique avait cependant été portée auparavant par deux artistes installés leur vie durant dans le dixième arrondissement : Ferdinand Henri Mortelècque (1775-1842), peintre sur verre et chimiste, et Alexandre-Denis Abel de Pujol (1785-1861), peintre d'histoire.


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Abel de Pujol, autoportrait, 1812

Musée des Beaux-arts de Valenciennes

La technique de la lave émaillée

L'idée de sa fabrication en revient à celui qui fut dix-sept ans Préfet de la Seine, Gaspard de Chabrol (1773-1843). Originaire de Volvic, il s'était déjà attaché à utiliser les carrières de lave de cette ville d'Auvergne pour le pavage des trottoirs de Paris. Mais il eut l'idée d'utiliser encore mieux ce matériau totalement inerte, à la solidité exceptionnelle, qu'est la lave, comme support à une peinture émaillée.

Les premiers essais furent effectués en 1827 par Luton, peintre sur verre, qui parvint à fixer l'émail sur le matériau ; puis la technique fut affinée par un artiste attaché à la Manufacture de Sèvres, Legros-d'Anizy. Celui-ci réalisa les premières plaques de rue.(2) Cette utilisation se répandit, d'abord à Paris jusque dans les années 1950 (certaines restent en place) ; après la Première guerre mondiale elle fut employée pour toute la signalisation routière.

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Plaque en lave émaillée,
rue de Metz

Après ces premiers essais, c'est grâce à Ferdinand Henri Mortelèque (1775 - 1842) que la technique parviendra à maturation et deviendra, au-delà de ses excellentes qualités décoratives (monuments funéraires, cadrans d'horloge, salles de bains...) - une technique à disposition des artistes peintres.

Mortelèque (ou Mortelecque), né à Tournai (Belgique) était au départ peintre sur porcelaine, 120, rue du Faubourg-Saint-Martin; chimiste dans sa fabrique, au n° 132, il fabriquait en outre des couleurs d'excellente qualité, riches, stables, se mélangeant parfaitement. Ses découvertes avaient été remarquées :

 

« Ses couleurs ont augmenté les ressources de la peinture sur verre et sur porcelaine; en 1819, il reçut une médaille de bronze pour ses perfectionnements des couleurs sur porcelaine, surtout pour son pourpre, ses gris et ses bruns. En 1827, ses échantillons de couleur pour peinture sur verre, porcelaine et faïence, et principalement sur lave émaillée, lui valurent la médaille d'argent. En 1831, la Société d'Encouragement lui décerna une médaille d'or pour son procédé de peinture sur lave, perfectionné par un blanc qui rend possible le mélange de toutes les couleurs »(3)

 

La lave émaillée souleva d'abord l'enthousiasme : La surface vitrifiée très dure, idéalement adaptée au plein air, rendrait les oeuvres d'art pratiquement inaltérables. Les couleurs garderaient toute leur fraîcheur, avec une grande liberté pour les peintres, qui pouvaient opposer des teintes opaques à des teintes transparentes, retoucher et corriger autant qu'on l'estime nécessaire.(4) La technique serait presqu'aussi aisée que la peinture à l'huile.

            Si l'on en croit le Journal des artistes de 1846 (dans un article évoquant l'installation des laves émaillées de Saint-Vincent-de-Paul), c'est en 1829 que Mortelècque aurait réalisé sa première oeuvre sur lave, un paysage d'1 m X 0,75 cm.

La même année, un peintre de renom, ABEL DE PUJOL, s'était impliqué dans le procédé :

 

 « Presqu'au même moment où M. Mortelecque terminait ce paysage, M. Chabrol du Volvic, toujours attentif aux embellissements de la capitale, chargeait M. Abel de Pujol d'exécuter une peinture sur lave pour décorer le maître-autel de l'église Sainte Elisabeth. Ce fut pour M. Mortelecque un jour de bonheur que celui-là, car tous les essais qu'il avait faits avaient été livrés au commerce; ce n'était pas là son but, il visait plus haut, à la peinture monumentale (...)».(5)

Dans un numéro antérieur (26 janvier 1834), le Journal des Artistes avait évoqué ce devant d'autel :

« Ce tableau est composé de trois figures allégoriques, la Foi, l'Espérance et la Charité ; ces peintures, de grandeur naturelle, accompagnées de pilastres décorés d'ornements en couleur et en grisaille, justifiaient déjà une grande partie de ces prévisions si judicieusement conçues, de cet espoir qui aurait été entièrement réalisé, si une grande protection, un solide appui eussent été accordés à cette nouvelle modification des œuvres du génie. »
 

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Devant d'autel, 1829 - Eglise Ste-Elizabeth

« Mais M. de Chabrol seul soutenait ces essais, d'abord, et trop peu de temps, en administrateur éclairé, et puis bientôt en simple ami des arts, c'est-à-dire qu'alors quelques fonds protégèrent seuls quelques tentatives de perfectionnement; mais rien de nouveau ne vint pendant longtemps, je ne dis point signaler des améliorations sensibles, mais seulement l'existence d'un art qui périssait étouffé dès sa naissance, si M. Hittorff, notre ancien président, n'eût point été frappé de toute l'importance de cette nouvelle application de la peinture en émail, et s'il eût pu résister aux invitations réitérées de M. de Chabrol qui, retiré des affaires, conservait encore toute sa sollicitude a cet art presque abandonné. (...) ».

 

L'on sait que le bel exemple de la sollicitude de Chabrol et de l'intérêt d'Hittorf pour la lave émaillée s'est traduit dans le projet de Saint-Vincent-de-Paul, mis en oeuvre par Pierre-Jules Jollivet. Abel de Pujol n'avait, pour sa part, pas récidivé.


ABEL DE PUJOL, le peintre

Né à Valenciennes en 1785, Alexandre-Denis Abel était fils naturel du marquis de Pujol, prévost de la ville. Il vécut une enfance très pauvre d'enfant trouvé (aucun de se ses parents ne l'ayant reconnu), mais commença cependant d'apprendre peinture et sculpture à l'École des Beaux-Arts de Valenciennes, fondée par son père. Admis à celle de Paris en 1804, il y devint élève de David. L'obtention du Prix de Rome en 1811 lui permit d'aller passer une année à la Villa Médicis. Son père, flatté de ce succès, l'autorisa alors à reprendre son nom.

Après quelques années de vache enragée, c'est comme peintre d'histoire qu'Abel de Pujol devint prisé et gagna renommée et honneurs. Malgré nombre de tableaux de chevalet, dûment présentés au Salon, c'est dans la peinture monumentale qu'il se fit le mieux remarquer.  En 1817, Chabrol lui commanda un Martyre de St Étienne pour l'église Saint-Étienne du Mont (6).


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Tête d'étude d'après Le Martyre de Saint-Étienne, 1817

Le Préfet soutenant beaucoup la peinture religieuse, Abel de Pujol bénéficia de nombreuses commandes pour d'autres églises parisiennes, dont la Madeleine et Notre-Dame de Bonne-Nouvelle. La décoration de la Chapelle Saint-Roch à Saint-Sulpice (1822) fut remarquée en particulier pour son usage de la fresque, technique alors délaissée.


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Détail : Acquapendente, une des villes italiennes
délivrées de la peste par St-Roch. 
Esquisse, 1819 - Louvre

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Plafond de la  chapelle Saint-Roch - Saint-Sulpice

L'imposante Renaissance des arts, peinte au plafond du grand escalier du Louvre en 1819, fut détruite en 1855 suite à de nouveaux aménagements. L'artiste put partiellement la recopier pour la Bibliothèque de l'Empereur...qui fut détruite par l'incendie lors de la Commune en 1871. Pour les plafonds voûtés de la Galerie de Diane du Château de Fontainebleau, il reçut commande de vingt-deux très grandes toiles (1822-1825).

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Fontainebleau, la Galerie de Diane

En peignant les très vastes plafonds de la Bourse du Commerce (1826) Abel de Pujol démontra sa grande maîtrise de la grisaille. Les deux oeuvres sont toujours visibles.

             Chabrol écarté par la Révolution de 1830, la carrière d'Abel de Pujol connut un flottement. Mais l'artiste trouva rapidement d'autres grands projets à réaliser, telle la salle des séances de la Chambre des Pairs (1835), totalement détruite par un incendie en 1859. En 1837, on lui confia plafond et trophées (en grisaille dorée cette fois-ci) de la spectaculaire Galerie des Batailles du Château de Versailles. En 1835, il avait été nommé à l'Institut de France (succédant à Antoine-Jean Gros), et en 1853 on le décora de la Légion d'Honneur: Abel de Pujol était un artiste parfaitement institutionnel.

Dans la Chambre des Députés d'aujourd'hui, le Salon Pujol présente toujours d'habiles trompe-l'oeil sur ses parois; quatre caissons en grisaille, au plafond, représentent des scènes décisives de la législation française. Traditionnellement, c'est dans ce salon, (en raison de sa position par rapport à l'hémicycle) que les députés de droite élaborent leurs amendements.


Abel de Pujol, le professeur

Abel de Pujol a enseigné de longues années. Le tableau ci-dessous représente l'intérieur de son atelier en 1822, qui se trouvait au 13, rue de la Grange-aux-belles – l'actuelle section de la rue de Lancry entre le canal Saint-Martin et le boulevard de Magenta. L'élégance des élèves féminines qui entourent le maître indique bien son statut.

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Atelier de Pujol, 1822 - Musée Marmottan

Ce tableau a été peint par l'une de ses élèves, Adrienne Grandpierre-Deverzy (1798-1869), assez estimée, qu'Abel de Pujol épousa en secondes noces en 1856.

Le peintre garda cet atelier jusqu'en 1831, puis alla vivre au 14 rue Albouy (actuelle rue Lucien-Sampaix). La maison fut construite pour lui par son ami Achille Leclère, l'architecte du Nouveau quartier Poissonnière, autour de Saint-Vincent de Paul. La maison voisine, aussi édifiée par Leclère, appartenait à Merry-Joseph Blondel, autre peintre bien en cour.                                                                        

La plupart des nombreux élèves d'Abel de Pujol sont oubliés mais on peut relever trois artistes notables – aucun des trois cependant ne s'étant éternisé sous sa férule ! Alexandre Gabriel Decamps (1803-1860) est connu pour ses paysages et tableaux de genre à sujets orientaux. Deux sculpteurs suivirent tout jeunes ses cours de dessin à l'École des Beaux-Arts: Jean-Baptiste Carpeaux d'abord (1827-1875), originaire de Valenciennes; puis, grâce à l'entremise de celui-ci, Aimé-Jules Dalou (1838-1902). 

Abel de Pujol, qui représentait assez bien un académisme dépassé,(7) est mort dans la gêne à son domicile rue Albouy. D'abord enterré au cimetière de Montmartre, il fut transféré en 1865 au cimetière Saint-Roch de Valenciennes. Deux de ses quatre fils prirent aussi le pinceau. Auguste-Alexandre (1816-1884), peintre de genre et professeur, s'établit à La Rochelle. Gustave (1811-1890), qui avait commencé comme peintre de décors de théâtre au 11, rue de Malte (c'est à dire à deux pas du boulevard du crime), poursuivit cette activité à Bône (Algérie), le reste de sa vie.

 Plusieurs oeuvres monumentales, tableaux ou dessins(8) de Pujol autres que celles citées sont visibles au Louvre, au Château de Fontainebleau et à Valenciennes.

la lave émaillée dans le 10e

La lave émaillée, malgré de belles réalisations, malgré ses qualités exceptionnelles, n'eut pas du tout le succès escompté auprès des artistes de premier plan. Qui connaît Paul Balze, à qui l'on confia pourtant le tympan de la façade de l'église Saint-Laurent ?

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 Paul Balze - Façade de l’église Saint-Laurent, 1870

La lave émaillée resta cependant bien implantée dans le 10e arrondissement. Mortelèque décéda le 12 août 1842 à son domicile, 132, rue du Faubourg-Saint-Martin, Deux peintres sur verre reprirent son atelier : Dubois, son beau-fils et Pierre Hachette, son gendre. Eux aussi vivaient et travaillaient déjà dans le faubourg Saint-Martin. En 1833, Mortelèque et Dubois avaient d'ailleurs présenté au Salon une peinture sur lave, La chasse.

On peut considérer la localisation de ces ateliers dans le haut du Faubourg-Saint-Martin comme un écho de la très ancienne Foire de Saint-Laurent, dont les métiers de la poterie et de la céramique avaient été la spécialité du Moyen-âge à la Révolution. Pour tenter de la ressusciter, Mme de Bellecôte, une propriétaire, avait d'ailleurs fait ouvrir un marché sur son emplacement (à peu près celui de la gare de l'est) en 1836. Ce marché (qui disparut en 1853 lors du percement du boulevard de Strasbourg) comportait, à l'étage, des ateliers pour les peintres décorateurs.(9) Toujours sur l'emplacement de la Gare de l'Est actuelle se trouvait aussi une fonderie d'où sortirent bien des monuments publics. En 1828 - une fois de plus sous l'impulsion de Chabrol, qui voulait réhabiliter l'art du vitrail -  Abel de Pujol y dirigea les peintres verriers anglais pour ses très beaux vitraux destinés à l'église Sainte-Elisabeth.
 

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St-Jean l'Evangéliste, vitrail, 1828, Église Sainte-Elisabeth

Pierre Hachette mourut à son tour le 22 août 1847, mais sa veuve, puis leur fils Etienne, continuèrent la fabrique de lave émaillée, la transférant quelques années plus tard au 216 de la rue du Faubourg-Saint-Denis. En 1868, peu avant la destruction de l'immeuble (en raison du percement de la rue Perdonnet), la fabrique était un vaste atelier sur deux niveaux, comportant deux moufles (c'est à dire des fours à chauffage extérieur). Depuis 1865, Etienne Hachette était déjà propriétaire d'un autre atelier similaire, 16, rue Doudeauville, Paris 18e. Il décéda en 1872.

 

À la fin du siècle, la maison Chadapaux, au 15 rue des Vinaigriers et au 65 rue de Lancry était réputée pour ses plaques de rue et numéros de maison. Mais l'atelier Gillet, 9 rue Fénelon (rue qui flanque l'église Saint Vincent-de-Paul), fondé en 1835 pour des décorations sur porcelaines ou céramiques, avait un tout autre prestige. François Gillet a été particulièrement brillant dans les décors sur lave dont un bel exemple sont les décorations Art Nouveau des façades de la Samaritaine.

 

On peut toujours admirer la jolie façade de l'atelier Gillet, entièrement décorée de laves émaillées (1874). Des médaillons représentent les émailleurs les plus célèbres depuis l'antiquité, personnages qui sont repris dans une frise racontant l'histoire de cette technique. Elle s'achève par Mortelèque, assis, sa cornue de chimiste au pied, qu'on imagine en train d'exposer son procédé à Jules Jollivet et François Gillet – les deux artistes étant représentés dans une attitude d'amicale égalité et complicité.

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Frise de la rue Fénelon, détail : Mortelèque et Gillet

 


  (1) Voir ci-dessous l’article du Père Horaist « Les laves émaillées de Saint-Vincent de Paul »
  (2) Archives des découvertes et des inventions nouvelles, faites en 1831 et 1832. Treutel et Wurtz, Paris, 1833.
  (3) Annuaire des artistes, 1834.
  (4) Archives des découvertes et des inventions nouvelles..., op. cité
  (5) Cf. Journal des artistes, 26 janvier 1834. L'église Sainte-Elisabeth-de-Hongrie (1646) est rue du Temple. Le devant d'autel est intact. Dans une autre chapelle figurent des vitraux sur cartons du même artiste.
  (6) Abel de Pujol habitait alors le Marais, 13 rue des Francs-Bourgeois. Cette oeuvre est à présent dans l'église Saint-Thomas d'Aquin.
 (7) Une bonne illustration est un article de Théophile Gautier étrillant de belle manière les tableaux exposés au Salon de 1852 (La Presse, 5 mai 1852).
 (8) Exposition de ses dessins, La ligne souple, au Musée des Beaux-Arts de Valenciennes, 21 oct. 2011 – 2 janv. 2012. Catalogue de Virginie Frelin Cartigny.
 (9) Emile de La Bedollière, Le nouveau Paris: histoire de ses vingt arrondissements, 186...