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Des rues du 10e en 1878 vues par Jules Claretie
Rue d'Hauteville, rue d'Enghien
La rue d'Hauteville au début du 20e siècle
C'est le haut commerce par excellence, un genre de négoce que la vapeur détruira d'ailleurs complètement, et qui tend à disparaître, à cause de la facilité avec laquelle les commerçants étrangers peuvent, sur place, venir faire leurs achats sans le secours d'un intermédiaire. Le commissionnaire, en ce cas, ne joue plus guère que le rôle d'un interprète, mais la science des langues fera bientôt aussi de cet état une carrière perdue, comme celle de recors ou de conducteur de diligence.
Le bd de Magenta au début du 20e siècle
"...Il courut, tout chantant, au logis d'Etienne Hamelin. Le chemin n'était pas long. Par le boulevard Magenta et les boulevards extérieurs, la place du Théâtre de Montmartre était à deux pas. Martial voulait se hâter, et pourtant il éprouvait une satisfaction profonde à tout regarder autour de lui, à se dire, avec une fierté naïve, qu'il était père, c'est-à-dire que sa propre personnalité lui semblait doublée. Autour de lui, tout semblait joyeux de sa joie. C'était un de ces soirs d'été où après la chaleur du jour, tout le monde sort prendre le frais dans ces quartiers populaires. Les bancs des boulevards étaient occupés par une double rangée de gens, ouvriers en veste, en bourgeron ou en manches de chemise, ouvrières en caraco blanc, qui humaient, sans presque parler, l'air de la nuit. Les cafés, les marchands de vins étincelaient avec leurs consommateurs assis devant des tables, en plein vent. Des groupes heureux marchaient lentement, sous les platanes, et sous leurs pieds on eut dit que le sable crissait joyeusement. Des curieux s'entassaient devant les loteries, où l'on gagnait des porcelaines de rebut, des vases à fleurs peintes à froid, décorées à l'or brillant. On regardait quelque escamoteur qui posait ses gobelets sur son tapis de toile rayée, à franges à demi déchirées. Des marchands de glaces et de guimauves criaient des sorbets à un sou. Un marchand de coco jetait parfois sa note grêle au milieu de ce concert. Une sorte de vapeur faite de poussière, et qui semblait l'haleine même de la terre, enveloppait ce gai tableau d'un beau soir. Il y avait partout des cris d'enfants, jaseurs comme des nids, des petits qui se roulaient, qui couraient, tombaient, se relevaient, riaient ; partout des cerceaux, des ballons. Et cette chanson des gamins se fondait, se perdait dans une sorte de rumeur vague produite par le roulement des fiacres qui passaient des deux côtés du boulevard..."
Jules CLARETIE : Le Train 17 (1878)
Ecrivain et académicien, Jules Claretie a habité le 10e
Textes recueillis par Dominique Delord