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Deux bonnes tables ... du passé dans le 10e *
Les fêtes de fin d'année approchant avec le retour des agapes, pour ceux qui le peuvent. Il est bon de rappeler qu'il existait deux tables célèbres dans le 10e et dans tout Paris, aujourd'hui disparues, elles connurent de très belles heures de gloire. Leur renommée s'étendit de Paris à toute la France puis au monde entier. Ainsi les deux grands restaurants que furent Maire et Marguery, du nom de leurs fondateurs, contribuèrent avec d'autres restaurants prestigieux, à inscrire le 10e arrondissement au pinacle des guides gastronomiques de la capitale.
Le restaurant Maire à l'angle des boulevards Saint-Denis et de Strasbourg
La restauration parisienne avant le 19e siècle
Jusqu'au milieu du 18e siècle, Paris n'offrait aux gourmets que de sombres tavernes, des rôtisseries enfumées et quelques tables dites d'hôtes servant à heure fixe, où après avoir pris son couvert, il fallait jouer des coudes pour trouver une place, puis manger debout, serré au milieu d'inconnus ripaillant et se saoulant. Vers 1774, un certain Boulanger revenant de Londres, où il avait trouvé l'inspiration, ouvrit près des Halles un établissement d'un genre nouveau, assis à des tables individuelles, l'on consommait soit des bouillons, soit des plats de viandes et d'oeufs qui pouvaient « restaurer » un homme. Le succès fut immédiat et les lieux présentant à la carte des « plats restaurants » se multiplièrent ; le mot « restaurant » fut alors détourné de son sens premier pour désigner l'établissement lui-même ; désormais, non seulement la cuisine et le couvert, mais aussi le cadre et le décor, furent soignés : ainsi naquirent les restaurants parisiens et avec eux la réputation de la cuisine française qui « sous l'Empire devint aussi universelle en Europe que le fut la littérature française aux 17e et 18e siècles » : Le Figaro Illustré, no 241, avril 1910.
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Le restaurant Maire
L'entrée du Restaurant Maire, 1 bd de Strasbourg
Parmi les nombreux restaurants qui se créèrent sous le Second Empire, le restaurant Maire se distingua rapidement. Ouvert vers 1860 au 14 boulevard Saint-Denis, faisant l'angle avec le no1 du boulevard de Strasbourg ; c'était à l'origine un simple comptoir en zinc appartenant à un marchand de vins, le père Maire ; celui-ci en fit l'un des restaurants les plus réputés de Paris, sa célébrité vint surtout de sa cave.
Voici ce qu'en disaient les frères Goncourt dans leur Journal : « C'est la première cave de Paris, on dit que le fonds provient presque totalement de la cave de Louis-Philippe qu'il aurait rachetée ; sa cuisine de qualité est servie par lui-même dans de la vraie argenterie ; il n'a pas son pareil pour cuisiner l'haricot de mouton aux morilles, l'entrecôte bordelaise, le macaroni Périgueux aux truffes, le tout arrosé de plusieurs bouteilles de jolis bourgognes, dont un fameux Mercurey ».
Mais, ce qui fit sa plus grande gloire fut le parti qu'il sut tirer d'une médiocre pièce de théâtre de Victorien Sardou : « Thermidor » dont le titre l'inspira pour baptiser son homard, une recette qui fait encore fortune aujourd'hui, le homard Thermidor : « Coupez le homard en deux, détaillez en dés, rôtissez au four dans du vin blanc avec du cerfeuil, de l'estragon et des échalotes hachées, nappez de béchamel et de moutarde anglaise au beurre frais, servez reconstitué ». (Almanach des Gourmands).
Puis le père Maire, le grand âge venu, céda sa maison à M. Paillard qui l'embellit pour accueillir, entre autres, les dîners littéraires du baron Taylor qui venait Chez Maire en voisin puisqu'il habitait tout près, rue de Bondy (aujourd'hui René-Boulanger).
À la fin du 19e et au 20e siècle, le restaurant changea plusieurs fois de propriétaires tout en gardant sa célèbre enseigne. Après la première guerre mondiale, les bouleversements de la vie parisienne le métamorphosèrent, de restaurant mondain il devint restaurant d'affaires le midi, proposant aux hommes du même nom des déjeuners à cinq francs ; mais le soir venu, comme Cendrillon, il retrouvait ses ors et sa pourpre, en présentant ses soupers d'après-théâtre aux spectateurs sortant affamés des théâtres des Grands Boulevards.
Les années 1970 sonnèrent le glas du restaurant Maire transformé un temps en café Biard puis aujourd'hui en Pizzeria !
Un menu chez Maire pour 55 francs
- Hors d'Oeuvre à la Parisienne ou Potage
- Langouste Américaine
- Selle de Pré Salé Béatrix
- Poularde de la Bresse rôtie
- Mousse de Foie gras à la Gelée de Porto
- Coeurs de Laitues
- Asperge Mousseline
- Bombe Dame Blanche
- Gaufrettes
- Fruits
Vins
- Une Grave ou une Médoc
- Une Pommard pour 4 personnes
Une bouteille Champagne pour 6 pers.
- Café
- Liqueurs
Le restaurant Marguery
Situé à même les Grands boulevards au 34-36 boulevard Bonne-Nouvelle, jouxtant le théâtre du Gymnase avec lequel il partageait en été l'alignement d'un même store, c'était le restaurant des déjeuners politiques des futurs députés, des banquets des anciens des grandes écoles ou des sociétés savantes. Les toasts, les discours, les chansons retentissaient dans ses salles pittoresques, les unes maures, hindoues ou égyptiennes, les autres flamandes ou gothiques et quelque fois françaises pour les anniversaires de la tante Jeanne ou les noces de la petite Berthe.
Restaurant Marguery, salon
Ce qui fit de suite sa renommée fut sa sole Marguery, nappée d'une sauce également Marguery. Le succès poussa notre homme, devenu président du Comité de l'Alimentation et officier de la Légion d'honneur, à agrandir son restaurant de nouvelles salles allant jusqu'à la rue d'Hauteville, il les embellit de décorations, à la limite du bon goût, avec des strass rutilants, des sculptures moyenâgeuses ; les salons furent ornés d'ors, de faïences et de divers marbres... Reniant la République, les salons devinrent Louis XV, Médicis, le grand salon gothique fut classé comme étant la plus belle salle de restaurant de Paris. Enfin en 1900, luxe suprême, il conquit des salles sur le trottoir du boulevard en montant une luxueuse véranda en fer superbement ouvragée.
Restaurant Marguery, sa célèbre véranda, boulevard Bonne-Nouvelle
Marguery mourut en 1910, le restaurant continua sous une autre direction après la guerre de 14-18, mais il perdit sa vocation première et ne fit plus que des repas de famille pour tous les âges de la vie : baptêmes, communions, noces et même funérailles !
Restaurant Marguery, sa cave voutée à vins
Mais il dût sa grande survie grâce à sa célèbre sole Marguery et à la sauce du même nom, dont les recettes, traduites dans toutes les langues, se doivent d'être inscrites dans tout bon livre de cuisine qui se respecte !
Et c'est aussi d'avoir donné naissance un peu partout à Paris, en France, et jusqu'à New York, à des restaurants portant le nom plus modeste de « Petit Marguery » pour ne pas faire ombrage au « Grand Marguery » qui resplendissait Boulevard Bonne-Nouvelle dans le 10e arrondissement de Paris.
Jeannine Christophe
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* Article paru dans La Gazette du Canal n°26, automne 2000, réactualisé en 2017