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Le vol de La JOCONDE et le dixième arrondissement de Paris [1]
Il y a 107 ans le 21 août 1911, une rocambolesque aventure lia notre arrondissement à La Joconde, en voici les faits :
La Joconde et son voleur !
Localisation de la cité Héron
La Cité Héron et la chambre de Perugia dans le 10e (documents John d'Orbigny)
Au matin du 22 août 1911, un artiste peintre habitué des lieux, Louis Béroud (1852-1930) se présente au Louvre pour, une fois de plus, placer le célèbre tableau dans une de ses compositions. Seuls les clous fixant le tableau sont en place, la Joconde a disparu ! Est-elle à la photographie dans le studio aménagé pour le photographe officiel du Louvre, Adolphe Braun et Cie ? Après de longues et minutieuses recherches tous azimuts qui vont permettre de retrouver son cadre doré et son châssis de protection dans l’escalier menant à la cour du Sphinx, il faut bien admettre qu’elle a été volée. Nous sommes en plein été, le sous-secrétaire d’état aux Beaux-arts est absent et le directeur des Musées Nationaux, Théophile Homolle, est en vacances dans les Vosges. Malgré cela dès 17h30 l’enquête est lancée avec l’arrivée d’un juge d’instruction et du procureur de la République.
Théophile Homolle
directeur des musées nationaux au moment du vol
Le vol de la Joconde
Devant la légèreté des installations et des moyens de surveillance du premier des musées français et du piétinement des recherches, des têtes vont tomber : Le directeur des Musées Nationaux, Théophile Homole, est mis en disponibilité et le gardien en chef du musée licencié. Ces sanctions sont prises le 31 août lors d’un conseil des ministres présidé par Fallières au château de Rambouillet.
La presse s’empare de l’évènement qui fait la une des journaux. De fausses pistes sont suivies au gré de témoignages plus ou moins fantaisistes. La rumeur s'étend et un tas d’hypothèses farfelues courent dans Paris. L’enquête s’enlisant, humoristes, caricaturistes et chansonniers rivalisent en plaisanteries. Des films se préparent, des pièces de théâtre sont montées. Des primes sont offertes à qui apportera son aide : L’Illustration qui titre « La perte de la Joconde est un deuil national » propose 10 000 ou 40 000 francs selon l’importance du renseignement. Les Amis du Louvre en offrent 25 000, Paris-Journal 50 000, un amateur qui veut rester anonyme 25 000 etc. Les voyantes déploient leur science. Pour les spécialistes de l’Art, il est évident qu’elle a été volée pour l’obtention d’une rançon car elle est invendable. Pour Jaurès, « C’est un amoureux qui l’a volée, il nous la rendra ».
La presse relate l'évènement
Puis une piste sérieuse semble se profiler quand un cleptomane et mythomane se vante de façon anonyme de vols de statuettes phéniciennes au Louvre, objets qu’il revend aux artistes. Il détaille ses forfaits dans les colonnes de Paris-Journal. Des dénonciations parviennent au parquet dans lesquelles le nom de Guillaume Apollinaire apparaît. Ce dernier est alors inquiété et passera même quelques jours à la prison de la Santé où il finira par donner le nom de ce personnage haut en couleurs, un certain Géry Pieret, un belge qui fut un temps son secrétaire. Picasso qui avait acheté deux de ces statuettes (sans en connaître la provenance, dira-t-il !) viendra les déposer au siège de Paris-Journal puis sera confronté à Apollinaire qui le couvrira. Lui par contre dira ne pas connaître le poète. Il regrettera sa lâcheté toute sa vie. La piste qui avait mené jusqu’à Apollinaire puis Picasso n’était qu’une impasse.
Apollinaire et Picasso accusés du vol !
C’est à Florence en Italie que la Joconde va réapparaître fin 1913. Un antiquaire florentin du nom de Alfredo Geri reçoit une lettre datée du 29 novembre rédigée en italien d’un certain Leonardo V., poste restante, bureau n°5 (Place de la République). Geri avait fait passer dans les grands quotidiens européens une annonce pour « achat de tableaux et d’objets ». Le mystérieux correspondant lui propose à la vente La Joconde ajoutant qu’il serait « reconnaissant que ce trésor d’art rentra dans sa Patrie ». Intrigué, Geri contacte le directeur de la Galerie des Offices, Poggi, qui lui conseille de donner suite. Un échange de correspondance aboutit à une rencontre dans la galerie de Geri dès le 10 décembre. L’homme se présente les mains vides et demande la somme de 500 000 francs en échange de sa restitution. Mis en confiance par les deux hommes, il les mène le lendemain jusqu’au modeste hôtel où il est descendu. Dans une caisse en bois, camouflée sous un double fond pour faciliter son passage en douane, se trouve le célèbre tableau ! Les trois hommes le transportent à la Galerie des Offices où il est authentifié au vu des inscriptions figurant au dos de la toile et en comparant les craquelures avec celles visibles sur les photos prises au Louvre. Le lendemain, Leonardo V., en réalité un certain Vincenzo Peruggia, est arrêté à son hôtel alors qu’il se prépare à regagner la France. Interrogé, il raconte sans difficulté l’histoire de son acte fou.
Mais qui est Vincenzo Peruggia et comment et pourquoi a-t-il pu dérober la mythique Joconde ?
Vicenzo Peruggia, peintre en bâtiment, le voleur !
Il est né en Italie dans la province de Côme en 1881 d’un père maçon et dès l’âge de douze ans va à Milan apprendre le métier de peintre en bâtiment. Il s’est établi à Paris en 1908 et est entré chez Gobier, entrepreneur en peinture et vitrerie, 280 rue Saint-Honoré. Cet établissement travaille pour le Louvre depuis Louis-Philippe. C’est ainsi que Peruggia a participé au Louvre à la fabrication des châssis protecteurs (en effet après un attentat contre un tableau d’Ingres en 1907, le musée avait décidé une protection de ses chefs d’œuvre). Son empreinte digitale figurait d’ailleurs sur la vitre démontée. La police n’avait pas suivi la piste des ouvriers employés par le Louvre dans les mois qui avaient précédé le vol, pourtant une fiche au nom de Peruggia avec ses empreintes digitales figurait dans ses dossiers. Il avait été interrogé après le vol du 21 août et la mention de deux condamnations antérieures (plus ou mois justifiées d’ailleurs) y était même notée !
Lors de l’interrogatoire italien, Peruggia dit haïr la France ! Mais aimer plus que tout l’Italie et sa peinture. Il voulait donc restituer la Monna Lisa à son pays d’origine, persuadé qu’elle avait été volée par Napoléon (en fait le tableau était arrivé en France dans les bagages de Léonard de Vinci et entré dans les collections de François Ier à la mort de l’artiste). Il l’avait donc subtilisée, sortie de son cadre puis l’avait placée dans une caisse cachée sous son lit où elle était restée jusqu’à ce qu’il décide son transfert en Italie.
La Joconde vient donc de passer 28 mois dans le 10e, cité Héron, un passage bordé sur la gauche de petits bâtiments identiques2 donnant dans la rue de l’Hôpital-Saint-Louis, au niveau du numéro 5. Dans cette cité ouvrière vit une communauté italienne originaire du Piémont. Peruggia y loge dans une chambre au premier étage ; certains de ses cousins y demeurent aussi. Mais c’est à deux frères amis qu’il va se confier, ayant besoin d’un hébergement provisoire pour le tableau qui ne peut supporter l’humidité de sa pièce, il va lui construire une boite protectrice qu’il placera sous son lit. Pendant ce temps Vincenzo Lancelotti accueillera La Joconde dans son propre logement (il habite alors rue Bichat). Deux ans plus tard, avec son frère Michele, il aidera Peruggia à rejoindre la gare de l’Est alors qu’il emporte à Florence son prestigieux colis. L’enquête menée en France après la réapparition du tableau les mènera à la prison de la Santé pour « complicité de vol par recel ». La maîtresse de Vicenzo Lancelotti sera elle aussi inquiétée et écrouée à la prison Saint-Lazare.
L’annonce de la réapparition du tableau fut faite par l’agence Havas à Rome. L’onde de choc fut tout aussi fulgurante que celle de sa disparition. L’accueil qui est alors réservé à La Joconde retrouvée est digne de celui qu’aurait reçu une princesse : elle est présentée tout d’abord à Florence, ville où elle a miraculeusement réapparu. À Rome elle est d’abord accueillie au Palais Farnèse (l’ambassade de France) où les officiels se pressent. Le roi et la reine d’Italie viendront la voir dans ce même lieu avant son départ pour l’étape suivante. Entre temps elle aura passé 5 jours à la galerie Borghèse où le public se bouscule ; on dit que 20 000 personnes défilèrent le premier jour. Sa tournée italienne s’achèvera à Milan, à la Pinacothèque Brera. Arrivée à Paris le 31 décembre, elle est alors installée dans les locaux de l’école des Beaux-arts où elle est authentifiée par les experts français. Puis elle est placée sous un dais rouge et pendant deux jours en payant un franc, les parisiens pourront l’admirer dans ce lieu dont le hall a été décoré de tapisseries des gobelins pour l’accueillir. La somme récoltée (3 500 francs) sera donnée à des œuvres de charité italiennes. Monna Lisa réintègrera le Louvre le dimanche (jour de gratuité) 4 janvier 1914 où pour le seul après-midi elle verra défiler 15 000 visiteurs autorisés à entrer dans la salle par groupes de 40.
Raymond Langlois fier du retour de la Joconde en France - dessin humoristique
Quant à Peruggia, il sera condamné en appel à sept mois et huit jours de prison, son patriotisme, le soin qu’il avait apporté au tableau et une expertise psychiatrique le qualifiant de « pauvre d’esprit » incitant la justice italienne à une certaine indulgence malgré sa demande de rançon. La première condamnation avait été d'un an et quinze jours. L’Italie en fit un temps son héros et pendant son incarcération il reçut de nombreux cadeaux : bouteilles de vin et autres spécialités italiennes et même de l’argent . Avec quelques semaines d’anticipation, Il sera remis en liberté le 29 juin 1914. La veille avait été assassiné à Sarajevo l’archiduc François-Ferdinand et les préoccupations étaient toutes autres.
Par son acte fou, Vicenzo Peruggia avait renforcé le mythe de la Joconde en en faisant une héroïne de roman policier Par contre le tableau n’avait pas repris sa place au Louvre pour longtemps puisque, dès la déclaration de la guerre, il fut mis en sécurité à Bordeaux puis à Toulouse jusqu’à la fin des hostilités.
Odile Mercier
Le film de Michel Deville : " On a volé la Joconde " (1966)
avec Marina Vlady en sosie de la Joconde 3]
- Voir un texte et des images inédites sur la page Facebook de John d'Orbigny immobilier : https://www.facebook.com/johndorbigny/posts/1141032009316607
- Voir aussi sur le le site Herodote.net : https://www.herodote.net/21_aout_1911-evenement-19110821.php
- Voir aussi cet article : https://www.vice.com/fr/article/538qe5/comment-apollinaire-et-picasso-furent-accuses-du-vol-de-la-joconde?fbclid=IwAR1gSY6KNjeaCCKnZekS6KJEU5zdGqP9kVln6toKTCGOaYWZKj0JGbNqmGE
[1] Source : Jérôme Coignard, « Une femme disparaît - Le vol de La Joconde au Louvre en 1911 » : éditions Le Passage 2010
[2] Bâtiments toujours existants aujourd’hui
[3] Un film et une bande dessinée sur "Le vol de la Joconde" devraient paraître en 2012
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Réactions :
Suite à la parution de cet article, Dominique Delord, spécialiste du chansonnier Montéhus, nous a envoyé le texte et la couverture de cette chanson parue en petit format en 1911, année du vol de la Joconde :
Sur les bords de la Seine,
Au Louvre, dans le grand musée,
J'étais le préposé
C'est moi qui f'sais la ronde
Autour de la Joconde,
Y f'sait bon, f'sait bon, f'sait bon,
Auprès d'la Joconde,
qu'il fait bon dormir !
(...)
J'suis là pour rien faire
J'suis comme Monsieur Fallières